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Est-il éthique d'avoir un chien ?

Dernière mise à jour : 30 mai 2022

C'est la très bonne question que s'est posée Élodie, ancienne stagiaire de la session de Comportementaliste Canin de janvier 2021. Un sujet qui interroge sur notre rapport à l'animal et sur la relation que nous entretenons avec nos chiens domestiques, et que nous avons jugé intéressant de partager ici avec vous.


Si vous souhaitez faire appel aux services d’Élodie, qui intervient en Ile-de-France, vous pouvez la retrouver sur son site. ;)






  1. Introduction


En France, un foyer sur deux possède un animal de compagnie et l’on compte actuellement plus de 7 600 000 chiens sur le territoire[1]. Il n’existe pas de statistiques nationales concernant les abandons de chien. Cependant, la Société protectrice des animaux (SPA) estime à 100 000 le nombre de chiens et chats abandonnés chaque année en France[2]. Ces chiffres placent la France en tête du nombre d’abandons annuels de chiens et chats en Europe. Malgré l’engouement certain pour le chien de compagnie, il est intéressant de noter que le nombre d’abandons par an ne varie que très peu d’une année à l’autre.


La conscience collective s’éveille de plus en plus au bien-être animal grâce aux actions d'associations militantes (comme L214 éthique et animaux ou One Voice par exemple) grandement aidées par leur mise en lumière via les réseaux sociaux. Nous pouvons constater que les mentalités quant au droit des animaux et à leur bien être évoluent et impactent notre mode de consommation et nos choix de vie. Le développement des rayons de produits végétariens et végétaliens dans nos supermarchés en est la manifestation la plus évidente. Le législateur est lui-même amené à modifier ses textes afin de les adapter par rapport aux demandes d’une société en constante évolution dans ce domaine.


Le quotidien avec notre chien de compagnie est devenu si habituel, presque banalisé, si bien qu’il semble moins évident de se questionner sur leur bien-être que sur celui des animaux d’élevages. Alors, qu’en est-il de notre rapport au chien ? Quelle place lui donnons-nous ? Quelles sont les limites d’une belle cohabitation qui reste néanmoins imposée ? Et si elle est imposée au chien, quelles responsabilités incombent alors à l’humain ? Quels moyens avons-nous pour rendre cette relationla plus harmonieuse possible en respectant le chien en tant qu’individu aux besoins spécifiques ?


II. Le chien domestique.


a. La domestication : les débuts de la cohabitation.


La relation entre le chien et l’humain ne date pas d’hier. Grâce à plusieurs découvertes archéologiques, il a été mis en évidence que, dès le néolithique, le chien occupait une place particulière dans le foyer des humains. Des sépultures humaines datant de 6000 ans avant Jésus Christ contenaient également des os de chiens[3]. Les progrès en génétique ont également pu déterminer que les chiens consommaient la même alimentation que les humains qu’ils fréquentaient[4]. Les chiens faisaient donc déjà partie du quotidien des humains mais avaient également un statut spécial : le chien est suffisamment considéré pour qu’il soit enterré dans une sépulture (peut-être même avec son humain ?). Il y a 8000 ans, le chien n’était pas juste un outil qui était jeté dès qu’il ne servait plus : le chien était déjà important en tant qu’individu à part entière.


Bien que les origines de la domestication prêtent toujours à débat ce jour, nous savons que le chien est la première espèce à avoir été domestiquée par l’humain. Nous reprendrons ici la définition donnée par Isidore Geoffroy Saint Hilaire, zoologiste français du 19ème siècle : “La domestication est l’appropriation et le contrôle par une société humaine d’une population animale ou végétale pour la production d’un service ou d’une marchandise. (...) Les animaux domestiques sont ceux qui sont nourris par l’homme dans la demeure ou autour d’elle, s’y reproduisent et y sont habituellement élevés.”. Il est raisonnable d’envisager que aussi bien l’humain que le chien trouvent des avantages à cette proximité. L’hypothèse de départ que l’on peut considérer ici est que la domestication est une action volontaire et motivée de l’humain. La création d’une espèce par l’humain et la cohabitation interspécifique résultante que nous connaissons aujourd'hui semblent pour moi lourdes de responsabilités, d’engagements et d’enjeux.


b. Histoire du statut juridique du chien.


En 1804, sous Napoléon, le code civil est adopté par le Corps législatif Français qui considère alors l’animal comme un objet pratique.


Le statut juridique de l’animal ne connaîtra pas d’évolution avant 1976 où il n’est plus considéré comme un bien meuble ou immeuble par destination. C’est à ce moment que le législateur reconnaît l’animal comme un être sensible qui doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce.[5].


Le 6 janvier 1999, certains articles du code civil sont modifiés, différenciant alors l’animal des choses inanimées.[6] Cependant cette loi ne sort pas l’animal de sa catégorie juridique de “bien” et ne reconnaît pas l’animal comme être sensible.


Une nouvelle loi est adoptée le 16 février 2015 : l’animal n’est plus un bien, il est reconnu comme un être vivant doué de sensibilité [7] mais se voit toujours soumis au régime des biens. Ce dernier changement finalise un accord dans la reconnaissance de l’animal dans le droit français en mettant en cohérence le Code rural et le Code pénal (qui reconnaissait déjà le caractère sensible de l’animal) et le Code civil. Cette modification du cadre théorique du statut animal et cette nouvelle concordance permettent de renforcer la portée et l’application des dispositions protectrices des animaux déjà existantes. La reconnaissance de son caractère sensible fait naturellement écho à la nécessité de recourir à des pratiques plus respectueuses à son égard.


En France, la vente ou le don d’un chien est encadré par la loi[8]. Elle impose la production ou la présence de documents lors de la vente ou de la cession d’un chiot ou d’un chien adulte. L’âge minimum d’adoption est fixé à 2 mois. Dans tous les cas, le vendeur doit produire une attestation de cession et un certificat vétérinaire concernant l’état de santé de l’animal. Il doit également fournir à l’adoptant une plaquette d’informations sur le chien, indiquant ses besoins et ses caractéristiques, (éventuellement des conseils d’éducation).


Tout chien doit avoir un numéro d'identification (puce ou tatouage) dès l‘âge de 4 mois. Ce numéro doit maintenant être renseigné (depuis 2019) sur le fichier de référence pour le suivi sanitaire et le suivi comportemental effectué par le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation.[9] Il permet de faire le lien avec le propriétaire du chien en cas de perte/vol et ainsi d’éviter l’euthanasie à l’animal le cas échéant.


En 1850, la loi Grammont prévoit une amende pour les mauvais traitements faits aux animaux de compagnie en public. Avant ça, aucune loi ne protégeait les animaux. En 1959, elle a été élargie au cadre privé. Depuis la loi du 6 janvier 1999, le responsable de mauvais traitements, sévices graves ou actes de cruauté, peut être puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 000 euros. L’abandon d’un animal est maintenant considéré comme un acte de cruauté. En outre, le code civil stipule que le chien est sous l’entière responsabilité de son propriétaire.

En France, le cadre législatif concernant le chien fait partie intégrante de celui concernant les animaux de compagnie. Son statut d’être sensible s’est affirmé au fil des décennies et, bien que le statut d’individu ne soit pas encore établi au regard de la loi, les sanctions ont également été renforcées en cas de manquement du propriétaire ainsi qu’en cas de maltraitance.

Depuis le 6 janvier 1999, une autre loi vient encadrer la détention de chiens domestiques : une liste de chiens susceptibles d’être dangereux et les obligations auxquelles doit se conformer le propriétaire. Les chiens susceptibles d’être dangereux sont principalement définis sur des critères morphologiques, comme une musculature développée et un poil court, un cou large avec des plis cutanés, un stop peu marqué, une mâchoire puissante avec les muscles des joues bombés, etc.[10]

Ces chiens sont regroupés en 2 catégories. La première regroupe les chiens non-inscrits au livre des origine françaises (L.O.F) (ou à l’un des livres généalogiques étrangers reconnus par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche) dont les particularités morphologiques sont assimilables aux American Staffordshire Terrier, Mastiff ou Tosa. Ces chiens sont interdits à l’achat, à la vente, au don, à l’importation et à l’introduction en France. Il est imposé aux chiens de première catégorie une stérilisation. La deuxième regroupe les chiens de race American Staffordshire Terrier, Mastiff et Rottweiler ainsi que les chiens assimilables à la race Rottweiler. L’appartenance à la race doit être attestée par une déclaration de naissance ou un pédigré (documents délivrés par la Société Centrale Canine lorsque le chien est inscrit au L.O.F).

Cette même loi, visant à prévenir les accidents et agressions avec des molosses, a également imposé depuis le 1er janvier 2010 aux détenteurs de chiens catégorisés le permis de détention ainsi qu’un certificat d’aptitude délivré par un professionnel agréé par la préfecture. En effet, pour posséder un chien catégorisé il faut être majeur, ne pas être sous tutelle (sauf autorisation du juge des tutelles), ne pas avoir été condamné pour crime ou délit inscrit au bulletin n°2 du casier judiciaire et ne pas avoir fait l’objet d’une décision de retrait du droit de propriété ou de garde d’un chien. Le propriétaire doit également avoir en sa possession un permis de détention pour l’animal. Depuis 2008, une évaluation comportementale faite par un vétérinaire est imposée à tout chien catégorisé et ce entre l’âge de 8 et 12 mois. Cette évaluation comportementale est à renouveler (tous les ans, 2 ans, 3 ans) ou pas, en fonction du risque de dangerosité du chien établi initialement par le vétérinaire.

Les chiens catégorisés souffrent d’une mauvaise réputation car souvent utilisés comme chiens d’attaque, de combat ou de garde et ont été rendus agressifs par leurs propriétaires dans ce but. On sait également que la loi impose de nombreuses contraintes à ces chiens. L’adoption d’un chien catégorisé doit faire prendre conscience aux humains adoptants qu’ils ont des devoirs et responsabilités envers le chien, aussi bien d’un point de vue légal que d’un point de vue éthique. En effet, un chien catégorisé est contraint à être restreint sur la voie publique (par la laisse et la muselière) en permanence. La question de la qualité de vie se pose alors. A la base, cette contrainte est motivée uniquement par les caractéristiques physiques du chien.

Bien que le risque de dangerosité évoqué par la loi soit entendable pour des physiques canins imposants, ce texte nie complètement l’individualité du chien. Une morphologie de molosse ne fait pas du chien un être au potentiel agressif plus élevé qu’un autre. Cette loi permet cependant d’encadrer la détention de chiens susceptibles d’être dangereux et impose aux (futurs) propriétaires un engagement s’ils veulent en détenir un. Il est également intéressant de noter que, en France, la majorité des morsures de chien sont causées par... des labradors[11]. Ceci s’explique par le fait que le Labrador est le chien le plus répandu dans les foyers Français[12] et qu’il a une image de “chien de famille qui aime les enfants”. Cela peut conduire les propriétaires à en oublier sa nature de chien : c’est un être vivant qui communique, qui a des besoins mais aussi des envies et surtout des limites. Ce n’est pas une peluche aimable et agréable qu’on manipule à sa guise, sans l’écouter.

Cet engagement qui est demandé aux propriétaires, sous forme d’informations et de formation pour l’attestation d’aptitudes, ainsi qu’en imposant des visites vétérinaires, ne peut que renforcer la prise de conscience du nombre de responsabilités qu'engendre la détention d’un chien (qu’il soit catégorisé ou non). En outre, cet encadrement strict limite théoriquement les accidents de morsures et donc le nombre de chiens euthanasiés.


c. L’éthique animale au service du bien-être du chien.


Impossible de parler éthique animale sans aborder le spécisme. Il s’agit d’un concept éthique qui soutient que l’appartenance à une espèce est un critère pertinent pour établir les droits qu'on doit lui accorder ou l’égard porté à ses intérêts. En analysant ce concept, on peut y voir une forme de discrimination arbitraire des individus sur la seule base de l’appartenance à une espèce. Selon cette doctrine, notre statut d’humain nous donnerait naturellement des droits sur les autres espèces, considérées comme moralement inférieures, et placerait nos intérêts au-dessus de celui des autres espèces.


En 1851, Arthur Schopenhauer, philosophe allemand, critique très sévèrement l’absence de droits pour les animaux. A l’origine de cette omission selon lui: la croyance d’une absolue différence entre l’Homme et l’animal.

Cette croyance trouverait ses origines dans le mythe de la création comme présenté dans l’Ancien Testament.[13]


Paul Waldau, éthicien et professeur américain, explique que le spécisme est aussi vieux que le monde en ce sens où, traditionnellement, on a justifié le fait de ne pas prendre en compte, ou secondairement en compte, les intérêts des autres animaux par la croyance qu’ils existaient pour notre usage.[14]

Le concept sera approfondi en 1975 par Peter Singer[15], philosophe australien. Il défend que l’appartenance à une espèce particulière n’est pas une propriété moralement pertinente. Il propose que la sensibilité devienne un critère pertinent d’appartenance à cette communauté morale et que tous les êtres sensibles doivent être considérés comme moralement égaux entre eux : leurs intérêts doivent être pris en compte de manière égale. Il semble donc que cette (mauvaise) habitude d’utiliser le chien ne date pas d’hier. Malgré l’évolution manifeste de la pensée collective sur le bien-être animal, il semble toujours difficile de penser le bien être du chien au même plan que le nôtre.