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Canis empathicus : mythe ou réalité ?

Dernière mise à jour : 18 oct. 2021

Voici le mémoire de Lucile, ancienne stagiaire de la session de Comportementaliste Canin de septembre 2020, qui s'est interrogée sur la transmission des émotions de l'humain au chien. La contagion émotionnelle est un sujet passionnant et surtout incontournable pour toute personne travaillant avec les animaux, il nous a donc semblé intéressant de partager son travail avec vous. Bonne lecture! :)



SOMMAIRE Introduction

I. Quelques notions sur le Chien et la relation Homme/Chien A.... Généralités B.... L’ocytocine et la relation Homme/Chien

II. Pourquoi peut-on parler d’empathie ? A.... Définition de l’empathie B.... La contagion émotionnelle chez le Chien C.... Canis empathicus

III. Exemples de comportements empathiques chez le Chien A.... Bâillement des humains B.... Pleurs des humains

C.... Humains en condition de stress et/ou de détresse

Conclusion

Bibliographie

Introduction


Le Chien, cet animal unique qui partage la vie de l’Homme depuis si longtemps.

Le Chien est, à ce jour, la plus ancienne espèce animale domestiquée par l’Homme. Du temps de nos ancêtres, il était principalement voué à des tâches bien précises et ne vivait quasiment jamais au sein des foyers. Au fil du temps, cette relation entre nos deux espèces a fondamentalement changé. Les chiens sont devenus des compagnons de vie pour les humains, faisant partie intégrante de nos foyers et partageant notre routine quotidienne (environnement et rythme). Ces changements ont alors permis d’accroître les liens affectifs existants entre le Chien et l’Homme. Au fil du temps passé à nos côtés, les chiens ont développé des capacités de lecture et de compréhension de nos comportements, leur permettant de s’adapter à nos modes de vie et à notre quotidien.

Toutefois, qu’en est-il des émotions ? Les chiens sont-ils également capables de ressentir les émotions des humains ? En d’autres termes, existe-t-il une transmission des émotions, aussi appelée contagion émotionnelle, entre nos deux espèces ?

Et si cela est le cas, serait-il alors justifié de parler de Canis empathicus ? À savoir, les chiens sont-ils capables d’éprouver de l’empathie envers les humains ?

L’objectif de ce mémoire est de faire un état des lieux des données existantes dans la littérature afin de déterminer si le terme Canis empathicus est un mythe ou une réalité. Pour cela, ce mémoire est divisé en trois parties. La première partie est constituée de quelques généralités sur le Chien et la relation existant entre l’Homme et le Chien. Dans la deuxième partie, j’explique pourquoi il est possible de parler d’empathie chez le Chien. Pour ce faire, le terme d’empathie est défini de manière générale, puis le phénomène de contagion émotionnelle des chiens par les humains est présenté, pour terminer par la notion de Canis empathicus. Enfin, dans la troisième partie, plusieurs exemples de comportements empathiques des chiens envers les humains sont présentés.

I. Quelques notions sur le Chien et la relation Homme/Chien


A. Généralités


Le Chien est un animal unique car c’est, à ce jour, le seul grand carnivore domestiqué par l’Homme.

Bien qu’il soit encore difficile de déterminer avec précision la date ainsi que les origines géographiques de l’apparition du Chien, les chercheurs s’entendent sur le fait qu’il existe un ancêtre commun entre le Chien (Canis Lupus Familiaris) et le Loup actuel (Canis Lupus Lupus) : le Loup gris (Canis Lupus). De plus, une étude réalisée en 2015 montre que les chiens cohabitent avec les humains depuis plus de 35 000 ans, faisant d’eux l’espèce animale la plus ancienne domestiquée par les Humains (Skoglund et al., 2015).

Plusieurs études montrent qu’au cours de ce processus de domestication, les chiens ont acquis des capacités de communication semblables à celles des humains (Hare et al., 2005), ainsi que des compétences cognitives et sociales (Hare et al., 2002 ; Miklosi et al., 2013). Au cours du processus de domestication, les chiens et les humains ont probablement développé une tolérance mutuelle via une modification des systèmes neuronaux impliqués dans les mécanismes d'affi

liation (Hare et al., 2005).

Ces adaptations réciproques leur permettent de cohabiter, communiquer, et créer des liens affectifs avec les humains, malgré les différences inter-espèces. Par exemple, il a été montré que les chiens :

· portent une attention particulière au regard des humains lorsqu’ils doivent effectuer une action (Call et al., 2003 ; Gácsi et al., 2004) ;

· sont capables de reconnaître les expressions faciales et la gestuelle des humains (Huber et al., 2013 ; Gacsi et al., 2004) ;

· regardent les humains lorsqu’ils ont besoin d’aide pour résoudre un problème (Miklosi et al., 2003) ;

· ou encore peuvent utiliser les indices de communication des humains, tels que le pointage et la direction du regard, pour trouver de la nourriture cachée (Udell et al., 2008 ; Hare et al., 2002 ; Hare et al., 1999 ; Miklosi et al., 2005).

De plus, il existe une corrélation positive entre la durée de l’attention qu’un chien porte à un humain, et le lien affectif qui les unit (Horn et al., 2013).

Du temps de nos ancêtres, les chiens domestiqués étaient principalement dédiés à une utilisation précise et formés dans ce but, par exemple pour chasser et rabattre le gibier, rassembler et surveiller les troupeaux, monter la garde, ou encore tirer des charges lourdes. La plupart du temps, les chiens vivaient en dehors de la maison, avec ou sans abri, et le plus souvent attachés. De nos jours, la relation entre l’Homme et le Chien a profondément changé. En effet, les chiens sont devenus des compagnons de vie pour les humains, leurs fonctions utilitaires ayant quasiment disparu au profit du statut d’animal de compagnie, et ce surtout dans les agglomérations. Il reste des exceptions comme les chiens de berger et les chiens d’assistance. La plupart des chiens vivent maintenant au sein des foyers, partageant tous les jours le même environnement et le même rythme de vie que leurs humains. Ces changements ont alors favorisé les liens affectifs existant entre les chiens et les humains.


B. L’ocytocine et la relation Homme/Chien


D’après de nombreuses études scientifiques, une des explications de cette relation affective privilégiée entre les chiens et les humains serait la production d’ocytocine, aussi appelée l’hormone de l’amour, un neuropeptide sécrété par l’hypothalamus (une partie du cerveau). Chez l’Homme, l’ocytocine est impliquée notamment dans la perception des émotions d’autrui ainsi que dans l’empathie (Guastella et al., 2010).

Chez les humains, il a été montré que le niveau d’ocytocine dans le sang augmente après une interaction sociale positive avec leurs chiens (caresses, jeux, paroles) (Handlin et al., 2011 ; Odendaal et al., 2003 ; Miller et al., 2009). En ce qui concerne les chiens, le niveau sanguin d’ocytocine augmente également après une interaction positive avec leurs humains (paroles, contacts visuels, caresses) (Handlin et al., 2011 ; Odendaal et al., 2003 ; Rehn et al., 2014 ; Hritcu et al., 2019 ; MacLean et al., 2017). Les chercheurs ont comparé les effets entre ces différentes interactions et ont découvert que les caresses sont le meilleur moyen de déclencher une augmentation de la production d'ocytocine dans le sang (Rehn et al., 2014). De plus, Handlin et al. ont montré que ces interactions entre les chiens et leurs humains entraînent également une diminution significative de la fréquence cardiaque des humains, ce qui pourrait être une conséquence de la libération d’ocytocine (Handlin et al., 2011). Cette baisse du rythme cardiaque suggère que les interactions avec les chiens pourraient avoir un léger effet anti-stress.

Quelques études, peu nombreuses cependant, ont également étudié le niveau d’ocytocine dans les urines et dans la salive et sont là aussi, concluantes. Mitsui et al. ont montré une augmentation de l’ocytocine dans les urines des chiens après une session de caresses avec une personne familière (Mitsui et al., 2011). D’autre part, le niveau d’ocytocine augmente dans les urines des chiens et de leurs humains après une interaction (regards mutuels, caresses, paroles), et cette augmentation est inhibée lorsque le contact visuel est bloqué (Nagasawa et al., 2009 ; Nagasawa et al., 2015). Ces résultats confirment donc l’existence d’un échange positif mutuel entre les chiens et leurs humains, entraînant une augmentation de l’ocytocine, ce qui va favoriser l’attachement social existant entre ces deux espèces. Pour ce qui est du niveau d’ocytocine dans la salive, une seule étude a été réalisée et montre une augmentation chez les chiens après une interaction sociale avec une personne familière (caresses, paroles, contact visuel) (MacLean et al., 2017).

En complément de toutes ces données, deux études ont également analysé l’impact d’une injection intranasale d’ocytocine chez les chiens sur leurs comportements sociaux envers leurs humains. Dans une étude se focalisant sur le contact visuel, des chiens sont mis en présence, après administration d’ocytocine, de leurs humains et de deux personnes inconnues (Nagasawa et al., 2015). Les humains ont alors interdiction de parler entre eux, ni de toucher volontairement les chiens, et ce afin de réduire au maximum l’influence d’autres stimuli que celui de l’injection d’ocytocine. L’administration d’ocytocine augmente la durée pendant laquelle les chiens regardent leurs humains. De plus, une autre étude a montré que l’injection d’ocytocine augmente la motivation des chiens à s’orienter vers et à s’approcher de leurs Humains (Romero et al., 2014).

À ce jour, seules deux études sont en contradiction avec l’ensemble de ces données, ne montrant pas d’augmentation du niveau d’ocytocine après une interaction entre les chiens et leurs humains (Powel et al., 2019 ; Marshall-Pescini et al., 2019).

Ainsi, la majorité des études confirment l’implication de l’ocytocine dans le lien particulier qui existe entre les chiens et les humains. Mais quelles en sont les conséquences ? Les chiens sont-ils également capables de ressentir les sentiments, les émotions des humains ? De ce fait, est-il possible que les chiens éprouvent de l’empathie envers les humains ? La suite de ce mémoire se consacre à répondre au mieux à ces questions.


II. Pourquoi peut-on parler d’empathie ?


A. Définition de l’empathie


Bien qu'il semble y avoir autant de définitions de ce terme que de chercheurs qui s'y intéressent, l'empathie a été largement décrite comme la capacité de reconnaître, d’être affecté par, et de partager l’état émotionnel d’un autre individu (de Waal et al., 2008 ; Decety and Jackson, 2004). La réponse empathique d’une personne est plus forte envers des individus avec lesquels un lien de familiarité existe (Cialdini et al., 1997).

L’empathie est une réponse émotionnelle permettant à un individu d’aligner ses sentiments sur les sentiments et les expériences d'un autre, l’amenant ainsi à prendre des mesures pour améliorer le bien-être de l’autre (Batson, 1998). La survie d’un groupe social est facilitée par le comportement d’empathie, qui améliore la capacité des individus à coopérer et à coordonner leur comportement par la perception des états émotionnels des uns et des autres (de Waal, 2008). Par conséquent, un indicateur d’empathie peut être un comportement de réconfort ou d'aide en réponse à la détresse d'un autre individu.

Preston et de Waal ont proposé un concept d'empathie à plusieurs niveaux, dont le niveau le plus fondamental est la contagion émotionnelle, définie comme une correspondance automatique et inconsciente entre l'état émotionnel de deux individus (Preston and de Waal, 2002 ; de Waal, 2008). L'empathie est donc fortement liée à une contagion émotionnelle dans laquelle la perception de l'état émotionnel d'un individu déclenche une réaction émotionnelle similaire chez un autre individu (« l’observateur ») (Batson et al., 1981).

La contagion émotionnelle est donc primordiale pour avoir des comportements d’empathie. Mais ce mécanisme existe-t-il chez le Chien ?

B. La contagion émotionnelle chez le Chien

La contagion émotionnelle a été définie comme un mécanisme automatique entraînant, chez un individu (« l’observateur »), un mimétisme et une synchronisation avec les expressions, vocalisations, postures, et mouvements d’un autre individu, et donc, par conséquent, le partage d’un même état émotionnel (Hatfield et al., 1993). « L’observateur » va percevoir les émotions et action d’un autre individu, et reproduire inconsciemment les mêmes actions (effet miroir) (Prochazkova and Kret, 2017). Il est important de noter que la force de la contagion émotionnelle est liée à la relation existant entre les deux individus. Plus le lien est fort, plus la contagion émotionnelle sera importante.

Chez les animaux vivant en groupe, ressentir les émotions des autres individus pourrait aider les membres du groupe à échapper aux prédateurs, à trouver des ressources alimentaires, et même à lutter contre des individus n’appartenant pas au groupe (Preston and de Waal, 2002). Ce mécanisme de contagion émotionnelle semble donc important pour le bon fonctionnement des groupes sociaux. Il a été montré qu’un grand nombre d’espèces animales vivant en groupe est capable de contagion émotionnelle, comme les primates (Parr, 2001 ; Ross et al., 2008 ; Palagi et al., 2009), les rongeurs (Langford et al., 2006 ; Bartal et al., 2011 et 2014), et les oiseaux (Edgar et al., 2011 ; Osvath and Sima, 2014 ; Watanabe and Ono, 1986). Dans ces études, seule la contagion émotionnelle entre individus de la même espèce a été étudiée.

La contagion émotionnelle entre individus n’appartenant pas à la même espèce existe-t-elle ? Nakahashi et Ohtsuki ont émis l’hypothèse que la contagion émotionnelle aurait évolué entre individus partageant le même environnement (Nakahashi and Ohtsuki, 2018). Or, le Chien et l’Homme partagent le même environnement depuis de très nombreuses années, permettant aux chiens de développer leur contagion émotionnelle innée et de la tourner vers les humains. Plusieurs études démontrent la présence de contagion émotionnelle chez les chiens, en montrant qu’ils sont capables de mimer les actions des humains, de se synchroniser avec eux, et de reconnaître leurs expressions faciales ainsi que leurs états émotionnels.


1) Mimer les actions des humains

Le mimétisme moteur implique souvent un contact visuel entre les individus qui interagissent. Comme il a été montré que les chiens portent une attention particulière au regard des humains lorsqu’ils doivent effectuer une action (Call et al., 2003 ; Gacsi et al., 2004), il est fort probable qu’ils soient capables de mimer les actions des humains.

Une étude a été menée afin de déterminer si un chien est capable d’imiter le comportement d’un démonstrateur humain afin d’effectuer une action correspondante en réponse (Topal et al., 2006). Dans un premier temps, un chien est entraîné à répéter neuf actions humaines simples après une demande (« Fait comme moi »). Une fois que le chien a réussi avec succès à reproduire les actions en question, des tests sont effectués avec des actions différentes réalisées par d’autres humains démonstrateurs. Le chien se montre capable de mimer ces nouvelles actions. Dans un deuxième temps, des séquences d’actions plus complexes sont montrées à ce même chien et une action de mimétisme est demandée par l’humain utilisant la même demande (« Fait comme moi »). Le chien a alors été capable de dupliquer toute la séquence d’actions, correspondant au déplacement d'un objet d'un endroit déterminé à un autre. Ces résultats montrent que le chien a pu reconnaître la séquence d'action montrée par l’humain, uniquement sur la base de l’observation, et la reproduire. Pourtant, des interrogations demeurent. Cette étude n’ayant été effectuée que sur un seul chien, les résultats peuvent-ils véritablement être généralisés ? Peut-on en conclure que tous les chiens sont capables de mimer ce type d’actions ? De plus, l’intervention verbale de l’humain démonstrateur en demandant au chien de reproduire son action peut avoir entraîné un biais dans les résultats. En effet, le chien aurait-il mimé l’action de l’humain sans la consigne verbale donnée ? Pour répondre à ces questions, d’autres études ont été réalisées.

Pongracz et al. ont étudié la capacité des chiens à contourner une clôture pour atteindre leur jouet préféré ou de la nourriture (Pongracz et al., 2001). Sans démonstration d’un humain, et même après six répétitions, les chiens ne réussissent pas à réaliser cette tâche de contournement. En revanche, une fois qu’un humain leur a montré comme faire, les chiens sont capables de contourner la clôture et d’atteindre le jouet/la nourriture. De plus, les chiens vont suivre cette solution déjà apprise même si un moyen plus simple, comme un raccourci à travers la clôture, leur est ouvert. Cela suggère que les chiens sont capables d’adopter le comportement de détournement montré par les humains pour atteindre leur but.

Kubinyi et al. ont également montré que les chiens sont influencés par le comportement de leurs humains, même lorsque l'objectif du comportement humain n’a pas de but précis (Kubinyi et al., 2003). Dans cette étude, les humains modifient leur façon habituelle de rentrer à leur domicile à la fin de leur promenade quotidienne, en faisant un petit détour. Les chiens développent alors progressivement une habitude similaire, et se dirigent vers ce détour avant même que leurs humains n'aient manifesté la moindre intention de marcher dans cette direction. De plus, les humains n'ont jamais ni récompensé, ni encouragé le comportement de détour des chiens.